Emportés par la vague Harry Potter il y a 20 ans, vos enfants sont devenus adultes… mais restés enfants. Si ça se trouve, ils viennent même d’acheter le dernier jeu vidéo de la saga. Dans le monde entier, la folie suscitée par le aventures des jeunes sorciers ne tarit pas. Paradoxe ou évidence ? On en parle par ici.
On nage toujours en pleine Harry Potter Mania, chez les enfants comme chez les adultes. En témoignent le succès de l’émission « Harry Potter, 20ème anniversaire : Retour à Poudlard », le jeu video « l’heritage de POUDLARD » qui vient de sortir, les collections régulièrement dédiées par telle marque ou telle autre, les références faites sur les réseaux sociaux comme dans la rue, ou même l’existence de magasins entiers dédiés au célèbre sorcier. Pourtant, le dernier roman a été publié il y a 15 ans, et le dernier film est sorti il y a 10 ans… Pourquoi un tel succès après tout ce temps ?
Vous, vous devez être un “Moldu” (un humain sans pouvoirs magique)… Allez, suivez-moi, je vous explique.
Un phénomène culturel
Pour commencer, un petit retour sur les débuts de la saga. Le premier tome a été publié en 1997, il y a 25 ans. Aucun public n’était ciblé au départ, mais il fallait classer le livre dans une catégorie pour le placer dans les rayons, et les éditeurs ont fait le choix de le destiner aux 9-11 ans. D’autre part, ils ont demandé à l’auteur, Joanne Rowling, de choisir un pseudonyme qui ne révèle pas son genre : ils pensaient en effet que le public masculin hésiterait à choisir le premier livre d’une femme. C’est pourquoi le public la connaît sous le nom de J. K. Rowling : J. étant l’initiale de son prénom, Joanne, et K. celle du prénom de sa grand-mère, Kathleen, soit un hommage à la famille qui transparaît tout au long des sept ouvrages. Le succès a été tel qu’à la publication du troisième tome, les libraires britanniques ont eu l’interdiction de proposer la vente du livre avant 17h, afin de s’assurer que les enfants ne manquent pas l’école pour aller l’acheter. Quatre ans seulement après la sortie du premier livre, l’histoire devenait une superproduction Warner et le monde découvrait Harry sous les traits du jeune acteur Daniel Radcliffe.
Clairement, on peut parler de phénomène culturel. Et il se trouve qu’entre fin 2021 et juin 2022, la période est faste : elle verra à la fois les 20 ans de la sortie du premier film et les 25 ans de la publication du premier livre. Ça se fête !
Précision d’importance, rappelons que prendre de l’âge ne signifie pas être dépassé… oui, vous me voyez venir… eh bien c’est pareil pour les œuvres culturelles. Tout est dans la qualité. D’ailleurs si vous y réfléchissez, vous avez vous aussi fait l’expérience d’œuvres qui, malgré les années, les relectures, les rediffusions, ont gardé toute leur magie : on pense spontanément à Molière, Jules Verne, de Louis de Funès, mais vous en connaissez certainement d’autres ! Même performance pour Harry Potter : on a beau l’avoir lu ou vu plusieurs fois, en connaître les détails par cœur, l’histoire fait toujours son petit effet.
Plus rare, la saga affiche un succès transgénérationnel : elle séduit tous les âges. En toute transparence, ma famille n’y a pas fait exception : c’est mon père qui l’a découvert le premier puis me l’a conseillé ! Il avait déjà dévoré les trois premiers tomes avant que je n’aie eu le temps de toucher au premier. Pourquoi ? J’y viens.
Personnages faillibles, apprentissage et aventure : une formule gagnante
L’histoire voit évoluer Harry et ses amis, un groupe qui mêle enfants et adultes. Leur attachement, leur solidarité et leur loyauté les uns envers les autres en fait un noyau à toute épreuve (et il y en aura). C’est déjà une solide base pour donner envie de suivre ces aventures, sinon de s’identifier aux personnages. Ceux-ci sont complexes : chacun présente des caractéristiques qui permettent au lecteur de s’y reconnaître, et personne n’est résolument parfait. Ils sont donc à la fois ordinaires et extraordinaires : un joli message à partager avec tous, à tout âge. De plus, le quotidien des protagonistes se place dans une situation que nous avons tous connu : une école, avec des professeurs qu’on apprécie plus ou moins. Voilà un postulat de départ bien conçu : plus de réalisme quant aux personnalités, une situation familière, de quoi favoriser l’entrée à pieds joints dans l’histoire.
Et le merveilleux, me direz-vous ? Comment croire à une histoire basée sur la magie ? C’est bien tout le génie de J.K. Rowling : installer ses personnages dans une réalité à cheval entre deux mondes. Car celui des sorciers cohabite avec celui des Moldus (comprenez « ceux qui n’ont pas de pouvoirs magiques ») : on peut donc se laisser gagner par la fantaisie et accepter la possibilité de ce monde fantastique, caché aux yeux du nôtre et répondant à sa propre organisation. De là à succomber à la tentation et s’imaginer faisant partie de l’un plutôt que de l’autre, il n’y a qu’un pas.
Les aventures, quant à elles, sont de plus en plus complexes et dangereuses à chaque opus, tandis que les personnages gagnent en maturité. Elles font ressortir des conseils et leçons de vie (l’union fait la force, le bien commun nécessite parfois le courage de s’opposer à ses amis, on se trompe parfois sur les gens, ou encore tout le monde a le droit à l’erreur, pour ne citer que ceux-ci) dont l’impact sur l’évolution des personnages est palpable. Le parti pris de faire correspondre chaque épisode à une année scolaire renvoie par ailleurs à une autre aventure : celle de l’apprentissage.
Enfin, si vous avez déjà observé un volume de la saga, vous savez qu’il s’agit de véritables « pavés ». De taille raisonnable pour les trois premiers, ils s’étoffent à mesure que la série avance. Pour les lecteurs, il s’agit d’une véritable plongée dans les livres. Certains n’ont rien lu d’aussi long ni avant, ni depuis ! Ça aussi, c’est une aventure… et forcément, ça vous marque.
Plongée en enfance
La rediffusion régulière des films à la télévision entretient l’attachement du public à ce monde enchanté. Magie, apprentissage, imaginaire : de tels ingrédients favorisent une reconnexion à l’enfance. Mais l’histoire en elle-même n’est pas le seul facteur en cause.
Il y a d’une part, le côté rassurant de la répétition : relire ou revoir Harry Potter, c’est un peu la madeleine de Proust. Souvenez-vous : enfants, vous aviez sans doute aussi un conte de prédilection, que vous avez souhaité entendre à plusieurs reprises. La répétition procure un cadre, un rythme. C’est également un point observable dans le déroulement des différents épisodes. En effet, puisque chaque année correspond à une année scolaire, le cadre est posé : il y aura un début et une fin, dont on imagine clairement les contours. C’est en quelque sorte l’équivalent de « il était une fois » et « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » de part et d’autre d’un conte de fées.
Particularité des films, ils ont été tournés l’un à la suite de l’autre, presque un par an, afin que les acteurs restent crédibles dans leurs rôles d’adolescents. On les voit donc grandir à l’écran, ce qui a pu donner à certains l’impression de grandir avec eux. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles l’émission diffusée début janvier, qui marquait le retour des acteurs sur les lieux des tournages, a été un tel évènement. Dix ans après la fin de la saga au cinéma, le public y retrouvait ces visages familiers, qu’il avait eu l’habitude de voir pendant une décennie, et avec eux, des héros qui lui avaient manqué.
Mais le monde magique d’Harry Potter, s’il représente la possibilité de redevenir enfant l’espace d’un livre ou d’un film, multiplie ces occasions. En effet, l’expérience est désormais offerte le temps d’un jeu, d’une journée dans un parc d’attraction dédié ou dans les studios des tournages (respectivement à Orlando, Osaka et Londres), d’un festival ou d’une fête (grâce au cosplay, ce déguisement qui invite à prendre le rôle de l’un des personnages d’une histoire). Plus incroyable encore, la véritable gare King’s Cross de Londres joue le jeu de la confusion entre fantaisie et réalité. Constituant dans l’histoire un lieu de passage entre le monde des Moldus et celui des sorciers, elle a depuis fait matérialiser l’entrée du fameux quai 9 ¾, d’où part le Poudlard Express et auquel on accède en fonçant dans un mur enchanté, par un panneau et une moitié de caddie encastrée.
Tout un univers
Il faut bien comprendre que le monde d’Harry Potter n’est pas uniquement une histoire, mais bien tout un univers. Il recèle une multitude de détails et donc différent degrés d’appréciation : création de concepts, de moyens de transports, de jeux, de système de gouvernement, jeux de mots sur le nom des gens ou des endroits, représentation des accents des personnages dans les livres, et j’en passe. Toutes ces précisions contribuent à éveiller la curiosité de différents types de lecteurs, de différentes tranches d’âge et attachés à différents centres d’intérêt, d’où la variété des adeptes de la saga.
Imaginez maintenant votre héros préféré, dans votre enfance. Vous avez probablement rêvé, maintes et maintes fois, de l’accompagner dans ses aventures, ou peut-être de l’incarner ? C’est le même rêve qui habite les inconditionnels d’Harry Potter. De fait, il est presque rendu accessible par le merchandising, qui renforce l’imaginaire et le pouvoir de cet univers en donnant au public l’impression d’y évoluer. C’est un peu comme un Disneyland hors les murs. Moi-même, je dois reconnaître que trouver les bonbons et boissons mentionnées dans les livres (la Bièreaubeurre, les Chocogrenouilles, ou encore les Dragées Surprises de Bertie Crochue, qui vous font tout à la fois chercher et redouter celles au goût de poubelle ou de crotte de nez…) m’a rendu mes 10 ans. Cela fonctionne d’autant mieux que le monde des sorciers est censé cohabiter avec celui que nous connaissons : on est donc parfaite cohérence avec le récit. Et par ce biais, on en revient à une autre histoire fantastique : le film L’Histoire Sans Fin, qui en 1984 mêlait lui aussi réel et imaginaire. Film culte pour les quarantenaires d’aujourd’hui, il a probablement servi de terreau fertile à ceux qui, devenus jeunes adultes, ont accueilli l’univers créé par J.K. Rowling à bras ouverts.
On pourra bien trouver quantité d’adjectifs pour déprécier le monde d’Harry Potter et la place qu’il a prise dans l’imaginaire collectif, en particulier auprès des adultes. Commercial, c’est évident. Régressif, sans aucun doute. Ridicule, c’est une affaire de point de vue. Mais à bien observer la situation, on comprend que ce qu’apportent les personnages de J.K Rowling, c’est tout simplement un peu de fantaisie dans un monde qui en manque de plus en plus. Et le rêve, comme vous le savez, n’a ni âge ni raison.
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